Le vocabulaire

Ce glossaire a été rédigé par Anne Alombert avec l’aide de l’équipe du Territoire Apprenant Contributif.

Disruption

La disruption désigne la perturbation de l’ensemble des organisations et institutions sociales (de la famille au gouvernement en passant par les entreprises, les langages, le droit, les règles économiques, la fiscalité, etc.) par les développements de nouvelles technologies qui se produisent à un rythme extrêmement rapide (innovation radicale et permanente). La disruption résulte du fait que la vitesse de l’évolution du système technique est bien plus grande que celle de l’évolution des systèmes sociaux. Ce désajustement entre évolution du système technique et évolution des systèmes sociaux n’est pas nouveau (Bertrand Gille le décrit comme typique de ce qui advient avec la révolution industrielle). Néanmoins, aujourd’hui, ces transformations techniques sont si rapides qu’elles échappent au politique et au social, comme à la puissance publique en général, si bien qu’aucun nouveau modèle de développement économique et social viable à long terme ne peut se reconstituer. La régulation, la législation et le savoir arrivent toujours trop tard dans leurs tentatives d’appropriation du nouveau : l’extension constante des vides juridiques et des vides théoriques qui en résulte est sans précédent historique.

Anthropocène

Ce terme a été proposé par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen pour désigner l’ère géologique ayant débutée lorsque les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre et sur le devenir de la planète. Cette nouvelle ère aurait été amorcée à la fin du XVIIIème siècle avec la révolution industrielle et met en question la possibilité de la vie sur Terre. L’Anthropocène peut être décrit comme « Entropocène » dans la mesure où cette période correspond à une augmentation massive des taux d’entropie, aux niveaux physique (dissipation de l’énergie), biologique (destruction de la biodiversité) et psycho-social (destruction de la diversité culturelle et sociale).

Néguanthropocène

Le Néguanthropocène désigne la nouvelle époque qui pourrait succéder à l’Anthropocène : face à l’augmentation massive des taux d’entropie (aux niveaux physique, biologique et psycho-social) qui caractérise l’Anthropocène, entrer dans le Néguanthropocène suppose de mettre en œuvre un modèle économique fondé sur la valorisation systémique de la production d’anti-entropie (aux niveaux physique, biologique et psycho-social). Telle est l’ambition de l’« économie contributive », qui repose sur la valorisation et la rémunération des activités anti-entropiques (aussi qualifiées de “contributives” ou “capacitantes” – voir les définitions correspondantes).

Entropie

Tendance à la désorganisation, à la déstructuration et au désordre. Un processus entropique, en son sens élargi au-delà de la thermodynamique, est un processus au cours duquel un système tend à épuiser ses potentiels dynamiques et sa capacité de conservation ou de renouvellement.

Compléments : l’entropie, une notion transversale :

  • Le concept d’entropie est apparu au XIXème siècle dans le champ de la physique thermodynamique et a été initialement forgé pour décrire la dissipation irréversible de l’énergie qui conduit au désordre généralisé de l’univers (l’univers est alors compris comme un processus d’expansion en déploiement, qui se désorganise de plus en plus jusqu’à sa disparition à l’infini).
  • Au XXème siècle, ces questions d’entropie ont été reprises par E. Schrodinger dans le champ de la biologie. Dans Qu’est-ce que la vie, il décrit l’activité des organismes vivants comme un processus « néguentropique », c’est-à-dire opposé au processus entropique global, qui ne permet pas de lui échapper (car tout organisme vivant finit par mourir) mais de lutter temporairement et localement contre lui. La néguentropie caractérise ainsi le vivant comme une lutte contre l’entropie.
  • La théorie de l’entropie a enfin été reprise dans le champ de la théorie de l’information (travaux de Shannon) et dans celui de la cybernétique (travaux de Wiener) : ces auteurs ont avancé la notion d’entropie informationnelle. Ils soutiennent que l’on peut définir l’information comme un rapport d’entropie et de néguentropie : la néguentropie désigne alors ce qui résiste contre le caractère insignifiant de l’information (le fait que l’information ne m’informe pas).

Anti-entropie

L’anti-entropie est une tendance à la structuration, à la diversification, à la production de nouveauté. Elle s’explique par le fait que l’organisation des êtres vivants s’oppose localement et temporairement à la loi de l’augmentation inéluctable de l’entropie. L’anti-entropie est en cela le processus qui caractérise le vivant en tant qu’il lutte contre la dissipation de l’énergie et la désorganisation qui en résulte et en tant qu’il produit entre autres de nouvelles fonctions et de nouveaux organes. La notion a été généralisée pour décrire tout ce qui tend à créer de la différence, du choix ou du nouveau dans un système se développant dans le sens de sa propre conservation et/ou de sa transformation vers une amélioration.

Savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir)

Tout savoir (qu’il s’agisse d’un savoir-faire, d’un savoir-vivre ou d’un savoir théorique) peut être décrit comme un processus «transindividuel» : il n’existe que d’être transmis, pratiqué et transformé par plusieurs individus, partageant un certain nombre de règles communes, qui se transmettent de génération en génération, et se transforment avec le temps, à mesure que les individus pratiquant le savoir le modifient en y inscrivant des bifurcations à travers leurs pratiques singulières, c’est-à-dire, en désautomatisant ces règles et en inventant de nouvelles manières de pratiquer le savoir (en ce sens, le savoir suppose une capacité normative, capacité de transformer les règles et les pratiques existantes et d’inventer de nouvelles règles/pratiques).

Compléments : les savoirs comme pratiques de soins néguanthropiques

  • La pratique d’un savoir est toujours sociale/collective et suppose un milieu technique susceptible de la supporter (faire, vivre, concevoir). Si la pratique de ces différents savoirs a une valeur pour la société ou pour le territoire, c’est qu’ils sont toujours des manières de prendre soin de soi et des autres, en cultivant un milieu artificiel et les relations sociales qui s’y déroulent. A chaque fois qu’un savoir est pratiqué, il s’agit pour les individus de développer collectivement des capacités permettant de prendre soin d’un milieu artificiel, qui pourrait se révéler dangereux pour eux. Les différents savoirs sont autant de manière pour les individus de se relier socialement par l’intermédiaire d’un milieu artificiel et d’adopter collectivement ce milieu en s’organisant socialement. Les savoirs supposent une relation dynamique et normative entre des individus et leur milieu : les individus et le milieu se transforment au cours de la relation, en inventant collectivement de nouvelles normes (par exemple, de nouvelles manières de produire, de cuisiner, d’éduquer, d’habiter, de vivre-ensemble, de compter, de mesurer, etc.).
  • La pratique de savoirs produit donc de l’organisation au sein de communautés partageant des règles (plus ou moins explicites ou intériorisées), mais aussi de la diversification et de la nouveauté à partir des bifurcations singulières et des controverses entre pairs. Les savoirs (faire, vivre, concevoir) varient selon la manière toujours locale dont les individus et les groupes les pratiquent, et se différencient ainsi dans le temps et dans l’espace, constituant des époques et des cultures diverses : ils contribuent ainsi à l’évolution dynamique des sociétés. En ce sens, ils peuvent être considérés comme des processus anti-anthropiques : tant qu’ils sont pratiqués et transformés, ils sont facteurs d’évolution et de diversité culturelle et sociale (socio-diversité).
  • Un savoir est un système ouvert : il comporte toujours une capacité contrant l’entropie, dans le cas des savoir-faire (ce que je fais est stable et n’encourage pas le chaos, renvoie notamment à l’expertise), des savoir-vivre (enrichir l’organisation sociale dans laquelle je vis sans la détruire), et des savoir-concevoir (conservation et transformation/enrichissement de la mémoire collective).

Prolétarisation

La prolétarisation désigne le processus qui consiste à priver des individus (producteurs, consommateurs, concepteurs) de leurs savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). Un individu est prolétarisé quand il ne parvient pas à se réapproprier / à ré-intérioriser le savoir qui a été extériorisé (et souvent automatisé) dans un support technique. En effet, la transmission ou l’apprentissage d’un savoir suppose toujours que le savoir qui a été intériorisé psychiquement par certains individus (ceux qui transmettent) soit extériorisé techniquement (dans un support de mémoire), afin de pouvoir être ré-intériorisé psychiquement par d’autres individus (ceux qui apprennent), qui intériorisent le savoir en pratiquant collectivement les supports dans lesquels il est conservé. La « prolétarisation » se produit quand la réintériorisation du savoir extériorisé par les individus psychiques dans les supports techniques est rendue impossible, dans la mesure où les supports de mémoire ne sont pas socialisés ni pratiqués. Les individus se voient alors soumis aux savoirs extériorisés dans ces supports, au lieu d’utiliser ces supports pour transmettre et partager les savoirs.

Compléments : les stades de la prolétarisation et la prolétarisation généralisée

On distingue trois stades dans le processus de prolétarisation (qui correspondent à trois stades du capitalisme) :

1) la prolétarisation des savoir-faire au XIXème siècle, qui se produit à travers le développement du machinisme industriel et de la mise en œuvre de l’organisation scientifique du travail (capitalisme productiviste) ;

2) la prolétarisation des savoir-vivre au XXème siècle, qui se produit à travers le développement des industries culturelles de programme – médias de masse comme la radio, le cinéma, la télévision (capitalisme consumériste) ;

3) la prolétarisation des savoir-concevoir au XXIème siècle, qui se produit à travers le développement technologies numériques et algorithmiques – et de ce qu’on appelle « l’intelligence artificielle » (capitalisme computationnel).

  • Au XIXème siècle, le développement du machinisme industriel qui signe le début de l’Anthropocène engendre un premier processus de prolétarisation : les premiers individus touchés par la prolétarisation ont été les ouvriers, qui se sont vus privés de leurs savoir-faire extériorisés et automatisés dans des machines (supports de savoirs mécanique), auxquelles sont soumis les corps laborieux dans les fonctions de production.
  • Au cours du XXe siècle cependant, ce qui est prolétarisé n’est plus seulement le savoir-faire du producteur : c’est aussi le savoir-vivre du consommateur. En effet, un consommateur ne produit pas ses propres arts de vivre ou modes d’existence : ses manières de vivre lui sont imposées par le marketing et la publicité, à travers la captation de son attention par les médias de masse, fondés sur les technologies analogiques (cinéma, photographie, télévision). Les arts de vivres sont ainsi transformés en comportements de consommation.
  • Le XXIème siècle a mis en évidence que ce sont aussi désormais les concepteurs et les décideurs qui sont prolétarisés, à travers l’application du calcul intensif à des quantité massives de données (big data), qui court-circuite l’élaboration théorique, ou à travers les programmes informatiques fournissant des « systèmes automatiques d’aide à la décision », qui court-circuitent les processus délibératifs, interprétatifs et décisionnels.

Ces trois stades ne se succèdent pas les uns aux autres, mais se superposent et se combinent, si bien qu’on assiste aujourd’hui à un phénomène de prolétarisation généralisée : tous les « sachants » sont dépossédés de leurs savoirs (extériorisation et désintégration combinée de tous les types de savoirs). C’est la raison pour laquelle une déprolétarisation (ou « encapacitation ») généralisée est nécessaire (et possible grâce à l’économie de contribution, qui valorise la pratique de savoirs).

Capacités / Compétences

Le développement des capacités (ou « capacitation ») se distingue de l’acquisition de compétences.

  • Les compétences à acquérir précèdent l’individu qui est censé les acquérir : elles correspondent à des standards comportementaux prédéterminés auxquels l’individu doit se conformer (deux individus peuvent acquérir individuellement des compétences identiques, ils deviennent dès lors interchangeables). L’emploi repose sur la mise en œuvre de compétences préalablement acquises : les compétences sont acquises en vue de l’employabilité.
  • Les capacités correspondent au contraire aux possibilités d’existence singulières de chaque individu, que celui-ci ne peut exercer et actualiser qu’à partir du moment où il s’individue collectivement, c’est-à-dire, à partir du moment où il pratique et partage des savoirs avec d’autres individus, et s’encapacite ainsi (les capacités sont des expressions de la singularité des individus, mais elles supposent, pour se développer, la pratique collective d’un savoir). Les capacités se développent au cours des activités de travail.

Compléments : automatismes (compétences) et désautomatisation (capacitation)

S’il ne fait qu’appliquer des règles préétablies ou répéter des comportements acquis, l’individu n’exerce pas un savoir ni ne développe des capacités, mais met en œuvre des automatismes et des compétences. Ceux-ci sont évidemment nécessaires à la pratique du savoir, néanmoins, ils ne sont pas suffisants : pour qu’il y ait véritablement pratique de savoir ou développement des capacités (et non seulement application de compétences), il faut que l’individu puisse inventer, créer, produire de la nouveauté (et non pas répéter le même). Le savoir se définit avant tout par la possibilité de désautomatiser les automatismes acquis et d’inventer des capacités nouvelles, et non par le seul exercice de ces automatismes ou la seule mise en œuvre de compétences.

Travail / Emploi

  • Une activité de travail suppose la transmission, la circulation et la pratique (toujours nécessairement collectives) de savoirs, au cours desquels l’individu s’individue (se transforme, s’encapacite) en transformant son milieu de travail et en se co-individuant avec ses collègues de travail (ou pairs), c’est à dire en formant avec eux un milieu associé. En travaillant, les individus s’organisent collectivement en partageant des savoirs, chaque individu développe ses capacités singulières et participe ainsi à la transformation du savoir lui-même, en produisant de la nouveauté, en faisant bifurquer les savoirs transmis vers de nouvelles directions. En ce sens, le travail peut être considéré comme une activité néguentropique (producteur de différences et de nouveauté).
  • Dans la mesure où il repose traditionnellement sur l’effectuation de tâches ou l’application de procédures préalablement déterminées et la mise en œuvre contrôlée de compétences préalablement acquises, l’emploi tend à enfermer l’employé dans des standards comportementaux préétablis auxquels il doit adapter sa conduite, en fonction des impératifs de productivité, et qu’il peut difficilement faire évoluer. L’emploi repose sur la transformation de la force de travail ou du labeur en valeur d’échange, et non sur l’exercice ou la pratique de savoirs : il tend ainsi à « prolétariser » les individus (les déposséder de leurs savoirs) et à favoriser la répétition du même – en ce sens, l’emploi peut être considéré comme une activité entropique.

Compléments : travail, emploi et automatisation

  • Il en résulte donc que les activités (standardisées et répétitives) mobilisées dans le cadre de l’emploi seront aisément automatisables (repose sur la répétition de tâches programmées qui pourront être formalisées et implémentées dans un algorithme). Au contraire, les activités (singulières et évolutives) mobilisées dans le cadre du travail pourront difficilement être automatisées (puisqu’elles supposent précisément la capacité de désautomatiser les automatismes acquis et de produire de la nouveauté imprévisible, à travers la pratique et la transformation des savoirs transmis).
  • Dans un contexte d’innovation technologique permanente et compte tenu du rythme de développement de l’IA, on peut donc prévoir l’automatisation d’un nombre considérable d’emplois, et ce dans de nombreux secteurs d’activités : cela ne dépend pas du secteur (industrie, service, éducation, santé), tout emploi qui ne suppose pas l’exercice d’un savoir et la production de nouveauté (donc un travail d’artiste) peut en droit se voir automatisé. Pour faire face à cette disparition progressive des emplois qui met en crise le modèle de redistribution fordo-keynésien (fondé sur le salaire), une économie solvable devra encourager la valorisation des activités de travail et la production de savoirs – c’est l’objectif de l’économie contributive, qui propose de rémunérer les activités de travail par un revenu contributif, conditionné au développement d’emplois contributifs intermittents.

Economie contributive

La thèse proposée par le modèle de l’économie contributive consiste à soutenir que l’augmentation de la productivité rendue possible par l’automatisation pourrait permettre de libérer les individus d’un certain nombre d’emplois prolétarisants, et ouvrir ainsi de nouveaux champs d’activité capacitantes et contributives. L’objectif d’une telle économie est de tirer profit du temps que l’automatisation permet de gagner dans la sphère productive, pour développer des processus de capacitation et de contribution permettant de produire et de partager les nouveaux savoirs nécessaires pour affronter les évolutions technologiques en cours (leurs effets psychiques, sociaux, politiques, écologiques).

La contribution suppose :

  • la participation choisie des individus à une activité capacitante,
  • la création d’une valeur sociétale / pratique / thérapeutique à travers l’exercice de cette activité (qui doit être productrice d’anti-anthropie).

Compléments : l’économie contributive tout contre l’économie de marché

Là où l’économie de marché s’intéresse au producteur sous l’angle de la maximisation du profit, et au consommateur sous l’angle de la fonction d’utilité, et repose sur les valeurs d’usage et d’échange, l’économie de la contribution se caractérise par le fait que :

  • les acteurs économiques ne sont plus séparés en producteurs d’un côté et consommateurs de l’autre, ils sont « contributeurs » c’est-à-dire qu’ils partagent et produisent des savoirs utiles à la société et au territoire ;
  • la valeur produite par les contributeurs n’est pas intégralement monétarisable, elle constitue une externalité positive qui ne peut se réduire à la valeur d’échange ou d’usage car elle ne s’use pas avec le temps.

En effet, la valeur des savoirs n’augmente pas avec la rareté (contrairement à la valeur d’échange), et ne s’use pas avec le temps (contrairement à la valeur d’usage) : au contraire, elle se développe et s’enrichit avec le temps. Les effets thérapeutiques des savoirs se construisent progressivement et sur le long terme, et leur valeur augmente à mesure qu’ils sont partagés et pratiqués collectivement : les individus qui les échangent s’enrichissent ainsi mutuellement, en transformant et en diversifiant leurs façons de vivre et en améliorant la qualité de leur milieu et de leur quotidien – bref, en élargissant leurs possibilités d’existence et en s’encapacitant. Il faudra donc développer de nouvelles conceptions de la valeur et de l’utilité (valeur ou utilité « contributive », « sociétale », « pratique », « thérapeutique » ou « anti-entropique ») et surtout, de nouveaux indicateurs pour la mesurer.

L’économie de la contribution n’exclue pas les autres manières de produire et d’échanger, mais se conjugue avec elles, accepte les règles du jeu de l’échange monétaire, se préoccupe des choix d’investissement (particulièrement de ceux qui conduisent à la production de biens publics), et fait du don une modalité possible de la participation.

Elle doit tenir compte :

  • du modèle productif, qui doit composer avec la finitude des ressources naturelles et le caractère cumulatif des ressources liées à l’activité cognitive.
  • du rapport entre la fonction de contribution et la refonte des solidarités, au-delà du solidarisme assurantiel de l’État providence.
  • de la territorialisation de la fonction de contribution qui implique une redéfinition des effets d’agglomération et une réévaluation des politiques publiques.
  • de l’exigence d’établir de nouvelles mesures et de nouveaux indicateurs de valeur.

Revenu contributif et emplois contributifs intermittents

Le modèle de l’économie contributive a pour fonction de répartir équitablement entre les citoyens le temps rendu disponible par l’automatisation de la production, et de mettre ce temps au service de la capacitation des habitants (rémunérée par un revenu contributif) et de leur contribution au développement anti-anthropique du territoire (dans le cadre d’emplois contributifs intermittents c’est-à-dire d’emplois intermittents au sein de projets labellisés contributifs).

Deux outils sont proposés à cette fin :

  • la mise en place d’un revenu contributif aura pour fonction de rémunérer les temps de capacitation des individus (au cours desquels ceux-ci partagent, pratiquent et produisent collectivement des savoirs) ;
  • les individus ne pourraient néanmoins se voir attribuer un tel revenu qu’à condition que les savoirs et capacités ainsi développés soient mis en œuvre de manière intermittentes dans le cadre d’emplois intermittents dans des projets labellisés contributifs pour le territoire, (les individus font ainsi profiter la société et le territoire des capacités qu’ils ont développées lors de leurs périodes de capacitation).

Compléments : le modèle des intermittents du spectacle

Le fonctionnement du revenu contributif s’inspire donc du régime des intermittents du spectacle : le financement des activités de capacitation préparatoires est conditionné par le retour du fruit de ces travaux vers la société sous forme d’emplois dans des projets labellisés. Le revenu contributif se distingue des revenus de subsistance (RSA ou revenu universel), même s’il peut leur être complémentaire : il constitue un droit, mais il est néanmoins conditionné à une participation à l’économie contributive et à son inscription dans le territoire. Cette participation suppose que les savoirs acquis pendant le temps de capacitation soient mis en œuvre dans le cadre d’emplois au service de projets labellisés comme contributifs ou anti-anthropiques par et pour le territoire – ce qui suppose le développement d’institutions de labellisation rendant possible la délibération et la décision collective autour de la valeur anti-anthropique / contributive d’une activité. En plus d’être un procédé simple de financement, l’emploi contributif intermittent permettra au contributeur de s’encapaciter, d’enrichir le territoire grâce aux nouveaux savoirs produits, et de transformer les emplois en activités de travail (toujours à la fois capacitantes et contributives).

Web herméneutique et réseau social délibératif

  • Un web herméneutique est un web qui rend possible des pratiques d’interprétations actives et d’expressions singulières des individus, contrairement à l’internet des plateformes qui fonctionne sur la base de la captation des données et du calcul intensif qui leur est appliqué.
  • Un réseau social délibératif est un réseau social qui permet la constitution de groupes de pairs et la délibération rationnelle / le débat argumenté entre ces groupes, contrairement au modèle dominant qui relie des individus à des individus en fonction de leurs données et de leurs profils, les isolant ainsi dans des environnements informationnels fragmentaires et hyper-personnalisées (« bulles informationnelles »).

La constitution d’un web herméneutique et de réseaux sociaux délibératifs permettrait de mettre les plateformes numériques au service de la création de communautés capacitantes, et non plus de la captation et de l’exploitation des données par la data economy.

Compléments : les fonctionnalités du web herméneutique et des réseaux sociaux délibératifs

La constitution d’un web herméneutique et de réseaux sociaux délibératifs suppose de repenser les architectures de réseaux et les formats de données, afin d’introduire de nouvelles fonctions contributives et interprétatives dans les formats du web actuel et les outils déjà existants.

Par exemple :

  • des fonctions d’annotation graphique et de catégorisation partagée permettant de confronter des prises de notes et des interprétations de contenus par des utilisateurs actifs ;
  • Des algorithmes d’analyse de données reposant sur une recommandation qualitative par l’analyse des annotations permettant la constitution de groupes d’interprétations ou d’affinités ;
  • de nouveaux types de réseaux sociaux fondés sur la mise en relation de groupes et non d’individus isolés (basés sur le concept d’individuation collective de Simondon), permettant la confrontation des interprétations, la controverse et la discussion argumentée, qui sont essentielles à l’exercice du débat public comme à la constitution des savoirs.

Urbanité et droit à la ville

L’urbanité renvoie à la fois au caractère d’un espace et au caractère d’une relation sociale : l’urbanité signifie d’abord que l’espace permet un maximum d’interactions de toutes formes, et se définit également par une politesse sociale. L’urbanité spatiale est corrélée aux interactions sociales et politiques qui forgent l’espace urbain. Selon Lévy et Lussault, l’urbanité n’est pas fixe mais contient différents niveaux, qui ont été définis comme “gradients d’urbanité” : un niveau d’urbanité dépend (entre autres) du nombre d’espaces publics, de la mixité sociale et de la mixité fonctionnelle (présence de tout genre d’activités – habitat, transport, commerce, loisirs…).

Le « droit à la ville » est une expression mobilisée par Henri Lefebvre pour désigner le droit des habitants à participer à la production collective de leur ville et à partager la richesse ainsi produite. Selon une telle conception, le droit à la ville est « celui de l’homme urbain pour qui et par qui la ville et sa propre vie quotidienne dans la ville deviennent œuvre » : la ville constitue l’œuvre de ses habitants, et le droit à la ville est avant tout un droit à œuvrer dans et pour la ville.

Complément : urbanité numérique et droit à la ville dans le contexte des smart cities

Dans le contexte des smart cities, la reconstitution d’une urbanité et d’un tissu urbain suppose de mettre l’efficience de l’automatisation au service de la libération d’énergies et de temps pour la production de nouveaux savoirs urbains et la délibération urbaine, en tirant profit des nouvelles formes de coopération que les technologies contributives rendent possible.

Il s’agirait de faire des infrastructures numériques un milieu urbain contributif et capacitant, au sein duquel les habitants prennent soin d’eux-mêmes et des autres en développant collectivement les capacités nécessaires pour adopter localement les nouvelles technologies urbaines. Ces nouveaux savoirs et métiers urbains devrait dès lors être développés dans le cadre d’activités de travail contributives (productrices de valeur pratique / sociétale donc partageable pour le territoire), valorisées par un revenu contributif.

Dans le contexte des smart cities, l’accès des habitants au « droit à la ville » suppose de favoriser une acculturation et une capacitation massive des différents habitants (industriels, citoyens, élus, professionnels, scientifiques) aux enjeux des nouvelles technologies urbaines, afin d’inventer de nouveaux modes de vies dans le nouveau milieu urbain, et de spécifier collectivement les innovations technologiques nécessaires au développement économique soutenable du territoire et au « mieux vivre » individuel et collectif de ses habitants.

Localité

Internation

Exosomatisation

Infrasomatisation

Exorganismes

Noodiversité