À propos des possibilités
et des impossibilités de
MODELER L’AVENIR
DANS l’ENTROPOCENE
et d’une
PHARMACOLOGIE
DE LA LOCALITE
Académie d’été de
pharmakon.fr
Epineuil le Fleuriel
24-27 juillet 2017
Notre planète atteint en tant que système dynamique des limites systémiques et chaotiques dans la proximité desquelles il semble pratiquement impossible de concrétiser des anticipations. C’est dans contexte absolument inédit et littéralement inconcevable que l’académie d’été pharmakon.fr se tiendra du 24 au 27 juillet 2017 au moulin d’Épineuil le Fleuriel pour débattre de cette situation d’exception.
Cette image
proclame qu’il est possible de modeler l’avenir. Que veut dire ici modeler ? Et comment l’avenir peut-il se distinguer dans le devenir ?
Cette académie fera suite au séminaire pharmakon.fr qui s’est tenu ce printemps à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord dans le cadre du programme d’expérimentation territoriale Plaine Commune territoire apprenant contributif. Ce séminaire, qui est accessible à l’adresse pharmakon.fr/…, était consacré à
. révaluer du point de vue de l’exosomatisation telle que la conçut Alfred Lotka (Human Biology, 1945, disponible en ligne) les questions de localité à l’échelle de la biosphère (au sens de Vernadsky, 1926), la biosphère étant elle-même une localité dans le système solaire qui est lui-même une localité dans une galaxie, etc.,
. opérer cette réévaluation qui est aussi et nécessairement une transvaluation dans l’absence d’époque que provoquent les technologies de scalabilité que déploie le « capitalisme des plateformes », et depuis cette épreuve qui est une ordalie,
. considérer cette épreuve de vérité – dans le contexte de la « post-vérité » – en reprenant en considération sous cet angle les rapports entre microcosmes et macrocosmes, et donc en ne demeurant pas dans une vision homogène et newtonienne des questions d’espace et de temps.
L’enjeu de Plaine Commune territoire apprenant contributif est de mettre en œuvre à une échelle relativement micro-économique une économie de la contribution qui doit cependant être conçue également à un niveau relativement macro-économique. Le séminaire avait pour but :
- d’appréhender les conditions dans lesquelles les rapports entre micro-économie et macro-économie peuvent être considérés du point de vue plus large d’une cosmologie elle-même toujours déjà divisée entre un point de vue microcosmique et un point de vue macrocosmique,
- en y intégrant enjeux spécifiques induits par l’exosomatisation, et en développant les notions d’exorganismes simples et exorganismes complexes :
. un exorganisme simple est un corps organique doté d’organes artificiels qui sont essentiels à sa survie,
. un exorganisme complexe est un agencement d’exorganismes simples plus ou moins liés à une échelle plus ou moins locale,
. les exorganismes simples appartiennent toujours à une multitude d’exorganismes complexes.
Ces considérations ont été élaborées du point de vue d’une économie de la contribution qui repose elle-même sur une requalification de la valeur d’un point de vue néguanthropique. On appelle ici néguanthropique ce que produisent les organismes exosomatiques simples et complexes : ce « produit » ne peut pas être simplement appelé néguentropique (ou anti-entropique), pas plus qu’il n’est simplement entropique : l’organogenèse exosomatique génère une nouvelle dualité de tendances anthropiques (au sens où l’on parle en géographie de milieux anthropisés) et néguanthropiques (au sens où l’anthropie engendre de l’entropie thermodynamique aussi bien qu’informationnelle).
C’est pourquoi l’académie d’été se consacrera ceette année avant tout à revisiter les notions d’entropie et de néguentropie (ou entropie négative) dans la perspective de l’exosomatisation qui en renouvelle profondément les enjeux et les perspectives dans le contexte de l’Anthropocène, lui-même étant ainsi appréhendé comme Entropocène.
Nous tenterons durant cette rencontre de requalifier en profondeur les débats qui ont émergé au XIXème siècle à partir de la théorie thermodynamique, puis de la conception du vivant que se faisait Schrödinger, puis de la notion cybernétique d’anti-entropie, ou de celle, dans le champ de la physique, de Brillouin, et des dérives venues de la théorie de l’information et amplifiées par les sciences de l’homme et de la société, et parfois par la biologie elle-même, à partir des années 1970.
Il s’agira ainsi de mettre à l’épreuve la définition de l’Anthropocène comme Entropocène en poursuivant la démarche qui avait déjà été amorcée en 2016 au Centre Pompidou au cours du colloque Penser l’exosomatisation pour défendre la société (cf …). Mais il s’agira aussi de débattre quant aux possibilités de constituer autour de l’expérimentation engagée avec Plaine Commune une plateforme délibérative, fondée sur un web délibératif (enjeu de la rencontre La toile que nous voulons, …), et capable de porter théoriquement et pratiquement les questions et les procédures issues de ce programme à des échelles microcosmiques et macrocosmiques plus diverses et plus larges.
Dans cette perspective, Ars Industrialis envisage de créer une nouvelle instance, appelée le bouleuterion. Le bouleuterion est le lieu institutionnel où – par exemple à Milet, à l’époque de Thalès
– s’élabore la boulè par laquelle la polis opère des bifurcations, c’est à dire sélectionne des possibles et des impossibles ouvrant un avenir dans le devenir.
En faisant suite à des travaux qu’Ars Industrialis et pharmakon.fr avaient consacrés à la notion d’internation évoquée par Marcel Mauss en 1920 (cf. académie d’été 2013, …), il s’agirait de penser un bouleuterion capable de s’inscrire dans les plus diverses échelles de la biosphère à l’époque des technologies de scalabilité qui constituent le stade le plus avancé d’un exorganisme planétaire qui se projette lui-même désormais à l’échelle du système solaire.
C’est pourquoi il s’agira également de débattre les notions de nomos et de katechon telles que Carl Schmitt les aura mobilisées dans Le nomos de la Terre – l’enjeu étant ici de penser le droit d’un point de vue micro-macro-cosmologique tout aussi bien qu’exosomatique, et dans la perspective d’une exorganologie, c’est à dire d’une étude des exorganismes complexes tels qu’ils se forment à travers des systèmes d’obligations au sens que Bergson donne au mot obligation dans Les deux sources de la morale et de la religion.
Cette année, afin d’intensifier la nature des échanges et de leurs prolongements efficients attendus, le nombre des participants à l’académie d’été a été limité à vingt-cinq personnes. En outre, celles-ci viennent pour une part de la chaire de recherche contributive mise en place à la MSH Paris Nord dans le cadre du programme Plaine Commune territoire apprenant contributif, et d’autre part du programme qui devait se tenir initialement à Providence, à la Brown University, en partenariat avec le Digital studies network constitué par l’Institut de recherche et d’innovation.
Les questions de l’entropie et de l’Anthropocène sont au centre du programme conduit avec le territoire de Plaine Commune avec la collaboration de cinq chercheurs (dont nous espérons porter le nombre à dix au mois d’octobre prochain – sur ce point, cf. le nouvel appel d’offre en ligne sur recherchecontributive.org). Un tel programme ne peut ignorer que l’actualité internationale semble avoir bifurqué au cours des années 2016 et 2017, ayant manifestement franchi un seuil à partir duquel les façons de penser qui s’étaient établies après la Seconde guerre mondiale appellent de nouvelles considérations. Il s’agira donc de conjoindre les questions posées à Plaine Commune et celles qui s’imposent ainsi à l’échelle planétaire.
Le « capitalisme des plateformes » est un capitalisme des technologies de scalabilité, c’est à dire de « passages à l’échelle », et donc de changements d’ordre de grandeur, capable d’articuler automatiquement toutes les échelles locales, des plus minuscules microlocalités, des échelles infra-individuelles et nanométriques des cellules et organes somatiques jusqu’aux plus immenses macrolocalités dans la biosphère et autour de la biosphère désormais étendue à l’échelle orbitale géostationnaire, en passant par les individus eux-mêmes devenant des « dividuels », et à travers leurs habitats et territoires « augmentés », tout cela étant effectué à travers des calculs effectués dans une quasi-instantanéité pour le commun des mortels comme pour le scientifique et pour l’ingénieur.
Mais cette articulation automatisée des échelles est aussi et surtout leur désarticulation : ces agencements qui désintègrent les relations néguanthropiques
sont anthropiques en cela que massivement entropiques du point de vue physique aussi bien qu’informationnel, ce dernier point de vue rendant les individus fonctionnellement calculables. C’est dans ce contexte d’entropie thermodynamique aussi bien qu’informationnelle que surgit la « post-vérité ».
À partir de ce que Lotka décrit comme un processus d’exosomatisation, tel qu’il poursuit l’organogenèse endosomatique par une voie qui n’est plus ni simplement organique ni simplement bio-logique, mais techno-logique et organologique, les organes exosomatiques étant aussi des pharmaka, on ne peut cependant plus parler simplement d’entropie et d’anti-entropie : il faut parler d’anthropie et de néguanthropie. Ainsi se pose une question méta-épistémologique s’il est vrai que toute science est constituée par des instruments (dont font partie les écritures) qui sont eux-mêmes de tels organes exosomatiques.
L’académie d’été tentera d’articuler ces questions avec celle du cosmopolitisme tel que, depuis Emmanuel Kant jusqu’à Carl Schmitt, en passant par Marcel Mauss et Henri Bergson, et en discussion avec la cosmotechnique que Yuk Hui tente de concevoir entre la Chine et l’Europe dans The question concerning technology in China. An essay in cosmotechnics, ce cosmopolitisme doit être repensé en fonction de ces questions épistémiques et épistémologiques, où la technique et la technologie industrielle pénètrent toutes ces dimensions.
Que la technique et la technologie soient les starters de ces questions cosmotechniques, cela s’observe à l’œil nu dans la genèse de la théorie de l’entropie, qui prend corps autour de la machine à vapeur, dite précisément « machine thermodynamique », la première révolution industrielle étant semblablement qualifiée de « révolution thermodynamique », comme concrétisation de ce que Bertrand Gille (dans son Histoire des techniques) appelle le « système technique thermodynamique », et comme une sorte de pharmakon dont la théorie se porte au plan cosmique.
La machine thermodynamique est à la fois le point de départ de l’Anthropocène et une nouvelle ère dans l’exosomatisation – ère dans laquelle apparaissent les exorganismes industriels, comme on le voit en lisant Andrew Ure (Philosophie de la manufacture). Mais à l’époque de ce que l’on appelle la disruption, ce sont les technologies informationnelles qui requièrent une reconsidération approfondie de ces questions, et telles qu’elles nécessitent en dernier ressort ce que l’on pourrait appeler une pharmacologie de la localité : c’est toujours une localité quelconque (c’est à dire une singularité) qui constitue le potentiel de bifurcations par où un avenir se projette dans le devenir (et qui bifurque à partir d’un fonds préindividuel « chargé de potentiel »).
Wendy Chun, Yuk Hui et Geert Lovink ont depuis longtemps travaillé dans une perspective que nous appelons pharmacologique, et qui consiste à poser que le numérique ouvre des possibilités polarisées négativement et positivement vers le pire et vers le meilleur. C’est une nouvelle polarisation de ce que Simondon décrivait comme une dyade indéfinie qui s’installe ainsi avec la technologie numérique, que nous appréhendons comme une rétention tertiaire numérique. Et c’est dans une telle actualité que se pose à nous désormais la question de la pharmacologie de la localité telle qu’elle doit se concevoir à partir d’une microcosmologie et d’une macrocosmologie de l’exosomatisation.
Du point de vue de la théorie de l’entropie et de la néguentropie, il n’y a aucune chance pour que le pharmakon numérique, faute d’une bifurcation thérapeutique majeure, ne devienne pas un poison fatal pour la biosphère – pour des raisons que Lotka souligne dès 1945, et que Nietzsche pressent en nous annonçant dès 1872 le temps de la philosophie ne s’élaborant plus qu’à partir de l’effroi :
Notre philosophie doit ici commencer non par l’étonnement, mais par l’effroi.
Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, Œuvres complètes 1**, p. 99.
Depuis quelques années – après que le social networking ait profondément transformé la dynamique qui caractérisa les quinze premières années du world wide web, et depuis que les révélations d’Edward Snowden ont déclenché une extraordinaire transformation et une inversion du signe positif de ce que représentait le numérique dans la communauté des hackers et des activistes et plus récemment avec la question de la post-vérité, des fake news et des alternative facts, portant ainsi à ses limites le discrédit qui caractérise le capitalisme contemporain comme accomplissement du nihilisme – , ces questions ont pris un tour manifestement tragique.
L’académie d’été 2017, qui thématisera cet état de fait dans sa généralité, mettra en perspectives et en débats les propositions qui ont été élaborées et mises en œuvre à plaine Commune afin de projeter ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari appelèrent des lignes de fuite – concept qui désigne tout sauf un abandon, tout sauf une désertion, et qui, dans le contexte plus pressant que jamais appelé « Trumpocène » par Paolo Vignola, Tom Cohen et The Guardian, mériterait à lui seul une interminable discussion, que cette académie amorcera peut-être.
Participants :
Axel Anderson
Sara Baranzoni
David Bates
Franck Cormerais
Michael Crevoisier
Clara Drevet
Jean-Claude Englebert
Tania Espinoza
Christian Fauré
Paul Emile Geoffroy
Yuk Hui
Olivier Landau
Giuseppe Longo (en vidéo)
Geert Lovink
Laurent Maronneau
Gerald Moore
Adrien Péquignot
Kévin Poperl
Vincent Puig
Federico Puletti
Dan Ross
Bernard Stiegler
Paolo Vignola
Francesco Vitale
Paul Willemarck
Maryanne Wolf